Vie
Tellement brève, tellement intense, tellement souhaitée, tellement désirée, tellement aimée.
Voyage
Thaïlande, Turquie, Réunion, Maurice, le voyage fait partie de la vie de Valentin qui a été emmené
très tôt partout où allaient ses parents.
Ensemble
Valentin et ses parents ont tout fait ensemble, parler et rire bien sûr, mais aussi réfléchir,
comprendre, entreprendre, décider, choisir. Il était associé à tous les projets et à toutes les
questions de la famille, à tel point que leur complicité et la compréhension qu’il a eue très tôt de
tous leurs aspects surprenait au-dehors.
Ecole
Un grand révélateur des particularités de Valentin et aussi le terrain d’ajustement de ces
particularités à la réalité du monde au-delà de son noyau familial.
Noyau
Le noyau familial. Tout est dedans. Toutes les raisons d’être, toutes les vies en devenir et aussi le
meilleur des vies passées. On l’aurait cru à toute épreuve, triomphant des sortilèges, des douleurs,
des attentes interminables, des frustrations… Faut-il croire qu’il n’a pas tenu ses promesses ? Il a
été fondu, forgé, martelé très serré, si serré que les parties étaient imbriquées les unes dans les
autres. La place de Valentin, sa part, y est inscrite pour toujours. C’est là qu’il est chez lui. Il a
contribué à façonner ce nid comme ce nid l’a façonné. L’un et l’autre en gardent l’empreinte.
Noyau bis
Partout où il allait, Valentin recréait autour de lui un noyau d’amis, de relations fortes, peut-être à
l’image de celui où il avait naturellement sa place. Et peu importaient les « considérations
ordinaires » de rang, de genre, de qualité. Ces noyaux rassemblaient des personnalités très
diverses, en aucun cas une élite ni une caste. Juste des copains.
Compétition
Gagner, être le meilleur, en tout, partout. C’était sa grande affaire, sa grande stimulation. Il fallait
qu’il soit le meilleur, mais pas à n’importe quel prix. Il ne s’agissait pas d’écraser la concurrence,
mais de triompher d’abord de soi-même et la qualité des concurrents faisait le prix de la
compétition. Ses meilleurs rivaux étaient aussi ses meilleurs amis.
Opiniâtreté
Opiniâtreté, ténacité, entêtement, fidélité à ses propres engagements, Valentin aimait tout ce qu’il
faisait, voulait tout faire et faisait tout bien, tant et si bien que sa semaine et, partant, sa vie, étaient
remplies de la cave au grenier. Les loisirs étaient remplis d’activités qui toutes l’enthousiasmaient :
l’équitation, le judo, la natation, le conseil municipal des jeunes, le théâtre, le ski, chaque jour de la
semaine et tous les week-end étaient remplis de tout cela et c’était lui qui en redemandait. Ses
parents le soutenaient, l’encourageaient certes, mais ne le poussaient pas, tâchaient même de
l’empêcher d’en faire trop, mais il s’engageait à fond dans tout ce qu’il entreprenait et ne renonçait
jamais à rien. Le prix à payer pour eux, fut une organisation sans faille pour l’accompagner partout.
Mots
Valentin partageait avec bonheur le goût de ses parents pour les mots, les jeux de mots, les bons
mots, et la manière de le mettre en relief, de les faire sonner. Il avait très bien compris que les
mots peuvent avoir plusieurs sens, en évoquer d’autres, en suggérer, qu’ils peuvent servir à
exprimer sincèrement beaucoup de choses mais aussi à éviter les sujets qui fâchent, à plaisanter
ou tricher un peu.
Il n’avait pas deux ans quand, assis à l’arrière de la voiture, il répéta avec une parfaite exactitude
ce que son père venait de dire pour inviter certain automobiliste maladroit et indolent à se presser
un peu. L’expression assez directe et énergique choquait dans la bouche d’un aussi jeune enfant
et son père prétendit qu’il avait mal compris et qu’il avait parlé de « bouquetin ». Deux cents
mètres plus loin Valentin avait digéré l’information et s’exclamait vigoureusement à l’intention des
trainards « Mais tu vas avancer ! Bouquetin ! »
Dès lors le bouquetin, espèce rare et peut-être en voie de disparition, connut une réimplantation et
un repeuplement au sein de la famille Kawa, aux côtés de quantité de mots, d’expressions,
d’accents et d’idiosyncrasies verbales qui déconcertaient notamment ses instituteurs, pour son
plus grand plaisir et celui de ses parents.
Livres
Il lisait. Il aimait lire, et c’était une passion qu’il avait découverte tout seul. Il trouvait sans doute
dans la lecture un champ d’application pour son intelligence et son imagination qui travaillaient
sans relâche. Il faisait partie de cette caste particulières des acharnés de la lecture qui se cachent
sous leurs draps pour lire encore après l’extinction des feux, mais ses éclats de rire révélaient
toute l’affaire.
Maladie
Elle est arrivée traitreusement, elle a fait son chemin insidieusement avec une féroce vélocité. Elle
s’est emparée de cet enfant courageux. Elle l’a très vite mordu et atteint dans ce qui lui était cher.
Son équilibre tout d’abord. Elle l’a rendu vacillant et zigzagant, mais jusqu’au bout, presque jusqu’à
la fin, il est resté debout, tombant parfois, mais debout à tout prix. L’expression de son visage où le
sourire devenait dissymétrique, l’intensité de son regard dont il supportait mal le strabisme généré
par la fixité de son oeil. Son écriture a rapidement perdu de sa fermeté, son élocution de sa
précision. Sa chevelure épaisse et abondante a été en peu de temps abattue par les
médicaments.
Tout cela est allé très vite et la perte de toutes ces choses lui a été profondément douloureuse
parce qu’elle s’accompagnait évidemment par le changement du regard des autres sur lui.
Théâtre
Là, pas de compétition possible : il ne s’agissait pas d’être le meilleur, il suffisait d’être bon mais
avec les autres, pas contre eux ni devant eux. Il y réussissait très bien et il apportait au groupe ses
précieuses qualité de vitalité, d’intelligence et d’humour. Il lui a été d’un grand secours pour
l’estime de lui-même de monter sur scène et de faire rire alors que tout le monde et lui aussi
certainement savait que c’était la dernière fois.
Le théâtre pour faire rire, rire envers et contre tout. S’il a emmené ça au paradis, le bon dieu doit
avoir parfois du mal à garder son sérieux.
Tortue
Le petit noyau de la famille était comme une tortue qui ne sort ses pattes et ne s’expose au danger
que pour avancer et sait très bien tout remettre à l’intérieur pour se protéger des aléas de
l’existence. Yannick donne cette image de sa propre famille. Moi, je la trouve un peu lourde. Je
comprends l’idée de la carapace, mais la lenteur et la pesanteur de l’animal me dérangent un peu.
Une tortue, soit, mais avec de grandes pattes, une belle voix, pourquoi pas des ailes, sachant
grimper aux arbres et faire des farces. Une tortue-ornithorynque mais en plus rigolo…
Bon, disons une tortue-ornithorynque façon kangourou avec un casque lourd et mâchant du
chewing-gum.
Hôpital, hôpitaux
Beaucoup de temps passé là-dedans. Beaucoup d’informations, de difficultés à dire, de
maladresses, de compréhension, de bourdes… difficile d’accepter que les gens qui travaillent dans
les hôpitaux ne soient que des humains, pas des surhommes ni des anges. Ils sont faits de la
même glaise que chacun d’entre nous, de la même médiocrité traversée parfois d’éclairs de
générosité, d’altruisme, d’empathie. On les voudrait toujours parfaits mais ils ne le sont pas et
leurs imperfections, leurs lâchetés lorsqu’il y en a, sont insupportables dans de telles
circonstances. Même si on sait bien qu’au fond ce qui est insupportable, c’est de ne rien pouvoir
faire, de savoir la fin de l’histoire et de ne pas, évidemment pas, pouvoir l’accepter ni non plus,
évidemment non plus, l’empêcher.
Il y a eu une course effrénée d’un hôpital à l’autre, pour savoir, pour se faire expliquer, pour tenter
de trouver des raisons d’espérer, pour tâcher de mesurer la part de vérité et de pieux mensonge,
pour démêler ce qui pouvait être dit de ce qui devait l’être. Harassante course qui a secoué
rudement la petite barque, la coquille de noix sur l’océan qu’est devenu la famille Kawa, ce noyau
pourtant si vaillant et si solide.
Il a fallu trier les vérités, celles qui étaient bonnes à dire et celles qui étaient impossibles à se dire
à soi-même.
Il faut se résoudre à croire encore, à espérer dans la bienveillance de ces gens qui travaillent sur
cette immense domaine de la souffrance et de la mort avec de bien faibles outils : leur intelligence,
leur curiosité, leur courage…
Absence
Insupportable et toujours renouvelée, plus vive chaque jour. Le manque profondément imprimé
dans la chair et dans l’âme de ceux qui restent. Que faire ? Partager n’est pas une solution,
puisqu’il n’y a pas de solution, mais c’est peut-être un soulagement. Partager ce souvenir du bel
enfant, de sa lumière et de son rire. Lui parler parce qu’il est, d’une certaine façon, toujours là.
C’est peut-être inutile, mais on fait bien d’autres choses encore moins utiles dans l’existence non ?
*Avec la participation de Pierre LAUNAY